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MaPrimeRénov’

La rénovation d’ampleur minée par la fraude

 

Depuis 2024 et la création de MaPrimeRénov’ parcours accompagné, l’État a mis le paquet sur les chantiers de rénovation globale. Il n’a pas fallu longtemps pour que des escrocs phagocytent le dispositif…

« Bonjour. Je mets en vente dossiers rénovation d’ampleur, […] visites techniques à planifier. » C’est le genre d’annonces qu’il n’est pas rare de dénicher sur le groupe Facebook Mon Accompagnateur Rénov’ (MAR)/Auditeur énergétique. Celle-ci est postée par un certain Hanini, le 2 juin, à partir d’un compte qui ne permet pas son identification. Déjà, les semaines précédentes, il avait publié plusieurs messages similaires invitant les intéressés à le contacter en privé.

« Légal, comme business ? », s’interroge un membre du groupe dans les commentaires. « En aucun cas », répond Jérémy François, conseiller dans un Espace France Rénov’des Vosges – ces guichets publics d’information sur la rénovation. Il considère même cette revente de données confidentielles comme le premier maillon des fraudes très organisées qui gangrènent MaPrimeRénov’ parcours accompagné, au point de pousser l’exécutif à suspendre le dispositif cet été.

Des accompagnateurs dignes de confiance ?

Ce « Parcours accompagné » est une déclinaison de MaPrimeRénov’, principale aide publique à la rénovation énergétique. À ce jour, elle a été surtout mobilisée par les ménages pour faire du monogeste – le plus souvent, installer une pompe à chaleur. Or, il est possible de réaliser des rénovations bien plus ambitieuses, tant sur la baisse des émissions de gaz à effet de serre que sur les factures d’énergie. Elles sont dites d’« ampleur » car elles combinent, d’un coup et en bonne intelligence, plusieurs gestes de travaux, dont au moins deux d’isolation. De facto, ces chantiers sont beaucoup plus complexes, plus longs et aussi plus coûteux.

Pour que les Français se lancent tout de même, le gouvernement a donc créé, début 2024, une aide dédiée, intitulée MaPrimeRénov’parcours accompagné, et y a mis le paquet. Un foyer aux revenus très modestes peut ainsi percevoir jusqu’à 63 000 € d’aides, à condition toutefois de respecter des règles assurant la qualité des travaux effectués. L’une d’elles est de passer par un Accompagnateur Rénov’. Soit un architecte, un bureau d’études thermiques ou encore un auditeur énergétique ayant obtenu l’agrément Mon Accompagnateur Rénov’ (MAR) auprès de l’Agence nationale de l’habitat (Anah). Présenté comme un tiers de confiance neutre, ce nouvel intermédiaire est là pour suivre les ménages à chaque étape de leur rénovation d’ampleur, en tentant de les tenir éloignés de la fraude.

Un échec, ce dispositif ? D’un côté, il rencontre petit à petit son public. Depuis début 2025 et jusqu’à sa suspension en juillet, l’Anah, qui pilote MaPrimeRénov’, avait validé 44 162 dossiers, soit trois fois plus que sur tout 2024. Malheureusement, les escrocs aussi se ruent dessus et développent « de nouveaux schémas de fraude », déplorait, mi-juin, le ministère du Logement. Sur le premier trimestre de l’année en cours, une centaine d’entre eux ont déposé pas moins de 16 000 dossiers, suspectés d’être frauduleux, qui ont pu être bloqués à temps. « Édifiant, souligne Sebastian Ruiz, président de la Communauté des MAR, l’une des associations regroupant ces structures. Un dossier de rénovation d’ampleur est long à monter. Il y a beaucoup d’actes à réaliser ; cela nécessite un audit, des devis et quantité d’autres pièces à fournir… en déposer un par jour est impossible. » Pour atteindre de tels volumes, ces arnaqueurs fonctionnent souvent en équipes. « La première est spécialisée dans le recueil de données, commence Sebastian Ruiz. Ce sont ces personnes qui vous harcèlent au téléphone ou vous abreuvent de questionnaires en ligne. Les informations que vous leur donnez – coordonnées, fiche d’imposition… – sont vendues à des sociétés de travaux. » Qui font passer des « visiteurs techniques » aux adresses obtenues. Bien souvent, ces derniers n’ont aucune compétence et sont payés en free-lance. « Ils prennent les mesures du logement et les envoient à un bureau d’études, qui a l’agrément MAR ou l’usurpe. Celui-ci dressera alors l’audit énergétique du bien sans jamais y avoir mis les pieds ! », résume Jérémy François.

Dégrader la note de l’audit

On surfe avec l’illégalité. Quoi qu’il en soit, un audit à distance n’est pas gage de qualité. Or, il s’agit d’un document clé dans une rénovation d’ampleur, censé évaluer l’état initial de la performance énergétique de l’habitation et établir les scénarios de travaux qui l’amélioreront. « Sur ce Parcours accompagné, le montant de la subvention est proportionnel au gain de classes énergétiques permis par le chantier », indique Nicolas Esnault, conseiller France Rénov’dans les Hautes-Alpes. L’enjeu donc est de sauter le maximum d’étiquettes sur le diagnostic de performance énergétique (DPE), en passant par exemple de E à B : « Pour que ce soit plus facile, les fraudeurs dégradent artificiellement l’audit de la maison, la classant en F ou G, comme une passoire énergétique. » À l’inverse, les devis de travaux envoyés à l’Anah sont gonflés et correspondent, à l’euro près, au plafond maximal pris en charge par MaPrimeRénov’, soit 70 000 € pour un ménage aux revenus très modestes. « Les escrocs empochent ainsi les 63 000 € d’aides, alors que le chantier leur coûte deux fois moins, ne serait-ce que parce qu’ils utilisent des matériaux de faible qualité ou inappropriés », fustige Jérémy François.

Dernier obstacle, le reste à charge. Soit la somme que les demandeurs doivent encore payer une fois les aides déduites. Dans le cas d’une rénovation d’ampleur, cela avoisine très vite les 10 000 € : un montant difficile à sortir pour des foyers précaires. Afin qu’ils signent tout de même, les aigrefins leur offrent ce reliquat via des remises alambiquées, et là encore illégales. « Une famille de ma région s’est vu proposer une rémunération de 10 000 € en échange de sa participation à une vidéo vantant la qualité des travaux réalisés dans la maison… », raconte ainsi Nicolas Esnault.

Une fraude qui s’est déplacée

Voilà comment on en arrive à des rénovations d’ampleur à 1 €, pour des foyers… parfois complices, souvent naïfs. Car l’affaire n’est pas aussi bonne qu’elle y paraît. « Les chantiers sont tellement mal faits qu’il faut les reprendre à zéro quelques années, voire quelques mois plus tard », met en garde le conseiller France Rénov’Jérémy François. Tout ça n’a rien nouveau, rappelle Aurélien Déjean, chargé de mission transition énergétique chez Soliha, une fédération d’associations accompagnant les ménages défavorisés dans la rénovation de leur habitat. « Les mêmes escrocs, avec les mêmes techniques, sévissaient déjà sur les certificats d’économie d’énergie (CEE) – et sur l’une de ses fiches en particulier, la BAR-TH-164 –, qui permettaient déjà d’obtenir des aides pour des rénovations d’ampleur », détaille-t-il.

Cette fraude était même bien plus massive qu’elle ne l’est aujourd’hui sur MaPrimeRénov’parcours accompagné, assure Camille Thomas, présidente de Rénomar’. Cette autre association fédérant les opérateurs Mon Accompagnateur Rénov’déplore qu’ils aient fait office de boucs émissaires. Au dernier pointage, mi-juin, 1 300 structures, employant 3 800 interlocuteurs, avaient reçu l’agrément. Si beaucoup doivent encore monter en compétences – ce qui n’est pas anormal tant cet intermédiaire est récent –, « seule une petite minorité d’entre eux fraudent », insistent Nicolas Esnault et Jérémy François.

Il n’empêche, cette minorité fait mal à cause de la quantité astronomique de dossiers qu’elle dépose, obstruant les délais d’instruction, gaspillant l’argent public et piquant des contrats aux opérateurs Mon Accompagnateur Rénov’et aux entreprises de BTP qui restent dans la légalité.

La loi Cazenave lance la contre-attaque

Promulguée fin juin, la loi Cazenave dote l’État d’un nouvel arsenal pour lutter contre la fraude aux aides publiques, notamment dans la rénovation énergétique. Elle interdit totalement le démarchage dans ce secteur, que ce soit par téléphone, SMS ou via les réseaux sociaux. Elle facilite aussi les échanges d’informations entre les administrations, en particulier entre Tracfin (le service de renseignement financier), la répression des fraudes (DGCCRF) et l’Anah, afin de détecter et de mettre hors-jeu plus rapidement les acteurs de la rénovation qui trichent.

De plus, les sanctions sont alourdies. En cas d’escroqueries suspectées, l’Anah sera susceptible de bloquer le versement d’une aide publique jusqu’à trois mois, renouvelable une fois. De son côté, la DGCCRF sera en mesure de suspendre l’agrément de structures MAR, qui devront en informer leurs clients. Ces derniers auront le droit de rompre sans frais leur contrat et de se faire rembourser. « Mais c’est bien aux particuliers de décider de changer, regrette Camille Thomas. S’ils ne font rien, un MAR suspendu pourra continuer à instruire les dossiers déjà engagés avant la sanction. » En revanche, elle pointe une autre avancée avec la loi Cazenave : « Il n’est plus possible d’obtenir l’agrément MAR avec une qualification d’auditeur RGE probatoire [donnée aux entreprises en attendant qu’elles fassent leurs preuves]. C’était du pain bénit pour les fraudeurs. Une fois suspendus, il leur suffisait de créer une nouvelle société, de décrocher leur certification probatoire puis leur agrément MAR, et ainsi de suite. »

Suffisant pour stopper les escrocs ?

Faut-il aller plus loin ? Avant 2024, l’Anah travaillait déjà avec des MAR historiques (des associations comme Soliha) pour aider des ménages précaires à mener des rénovations globales. Le lancement de Parcours accompagné marque cette volonté, louable, de massifier les chantiers d’ampleur. Initialement, le gouvernement en visait 200 000 par an dès 2024. « Les MAR historiques n’auraient jamais suffi à atteindre cette cadence, convient Aurélien Déjean, de Soliha. C’est pourquoi l’État a assoupli les conditions pour demander l’agrément, mais trop, jusqu’à permettre à des sociétés de BTP de créer leurs filiales MAR. » On voit venir, gros comme une maison, les risques de collision et la perte de neutralité des Accompagnateurs Rénov’, pourtant cruciale. « Il est difficile de revenir en arrière, ajoute-t-il. Et certaines de ces filiales réalisent d’ailleurs de l’excellent boulot. Mais elles doivent faire l’objet de contrôles renforcés. »

La Communauté des MAR pousse également pour la création d’une formation obligatoire de 35 heures avant d’obtenir l’agrément. « On ferait coup double, plaide Sebastian Ruiz, son président. Cela participerait à la nécessaire montée en compétences des MAR, et découragerait certains escrocs de s’attaquer au parcours accompagné. » Ne nous faisons pas d’illusions pour autant : ils trouveront de nouvelles cibles. La suspension du Parcours accompagné n’a pas mis fin aux offres suspectes. Simplement, elles concernent, dorénavant, les monogestes et les panneaux solaires.

Et aussi des devis qui flambent

Certaines des arnaques à MaPrimeRénov’sont manifestes et ne laissent aucun doute sur les intentions de leurs auteurs. Mais il y a aussi une escroquerie plus insidieuse et plus généralisée : le fort renchérissement des travaux de rénovation d’ampleur. Ils sont en hausse de 7 % en 2025 par rapport en 2024, « sans commune mesure avec l’inflation [environ 2 %] », fustige le ministère du Logement. La majoration exagérée des devis constitue l’un des facteurs d’épuisement précoce du budget 2025 alloué à MaPrimeRénov’ (3,6 milliards d’euros au total). Pour lutter contre cette fraude, le gouvernement veut publier un référentiel de prix des travaux de rénovation énergétique, notamment à destination des Accompagnateurs Rénov’afin qu’ils repèrent plus aisément les devis gonflés. Ce guide figure parmi les 10 mesures du plan d’action contre la fraude que le ministère du Logement disait, au début de l’été, vouloir mettre rapidement en place.

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